Les affiches lacérées de Jacques Villeglé ou son journal de la rue
13/08/2014 par TyphaineDes affiches volées à la rue, malmenées par la rue, que le regard de l’artiste Jacques Villeglé a su transformer en oeuvre d’art.
Jacques Villeglé est un artiste breton (né en 1926 à Quimper), plasticien français. Il est connu pour ses oeuvres d’affiches lacérées. D’ailleurs, il est l’un des seuls affichistes à avoir travaillé uniquement et toute sa vie avec des affiches lacérées.
En 1945, il fait la connaissance de Raymond Hains, artiste plasticien breton (né en 1926 à Saint-Brieuc-décédé en 2005 à Paris), à l’école des Beaux-Arts de Rennes. De nombreux projets entre ces deux complices vont naître dont les œuvres d’affiches lacérées, sujet traité dans cet article.
A l’issue de la seconde guerre mondiale (1939-45), l’art « informel » abstrait est le style en vogue à Paris. L’« informel », terme proposé par le critique Michel Tapié, qui s’applique à des artistes « matiéristes » qui privilégient une expression spontanée à travers des performances picturales réalisées en public. Jacques Villeglé n’est pas proche de la peinture abstraite, c’est pourquoi avec Raymond Hains, il revendiquera la pratique du non-action painting.
Raymond Hains fut le premier, en 1947 à prélever des fragments d’affiches dans la rue, c’est ce geste qui va déclencher l’engouement des deux artistes pour ce nouvel art.
C’est en 1949 que les deux artistes récoltent des affiches lacérées. Leur oeuvre commune d’affiches lacérées « Ach Alma Manétro » (toile de 58 x 256 cm), a été réalisée à partir d’une série d’affiches de concerts récupérées à Paris près de la Coupole à Montparnasse. Ils ont choisi de s’approprier des morceaux pour réaliser une nouvelle « tapisserie de Bayeux » (60 x 260cm) selon R. Hains. Le titre de cette oeuvre provient de quelques mots déchirés. Ach pour Bach, souvent en référence dans la peinture cubiste. Alma pour la place de l’Alma. J. Villeglé a commencé par faire le collage du côté gauche, et R. Hains a terminé le côté droit, cela peut se voir car on observe bien une différence de collage.
Au début des années 50, J. Villeglé se dénomme « affichiste » et révèle « la guérilla des signes ». Il tient « le journal du monde de la rue ». Jacques Villeglé crée des œuvres à partir d’affiches déjà lacérées en les décollant de leur support dans la rue. Pour repérer les affiches qu’il va récupérer, il se définit dans un premier temps comme le flâneur, puis comme le promeneur baudelairien solitaire. Il choisit Paris car c’est dans cette ville qu’il y a le plus d’affiches mais en 1991, il part en province suite à une nouvelle réglementation sur l’affichage parisien.
Depuis les années 50 à aujourd’hui, J. Villeglé a récolté près de 3 500 affiches ornant les murs de Paris. L’artiste découpe, décolle puis sélectionne ces morceaux d’affiches afin de les recomposer en les superposant, recadrant pour ensuite les maroufler sur toile. Dans son travail, les fragments typographiques jouent à la fois visuellement mais aussi verbalement. Jacques Villeglé donne pour titres les noms des rues, ou les numéros des maisons où les affiches furent arrachées. L’enjeu est de faire une œuvre populaire et d’apporter le témoignage de la vie d’une époque : son contexte politique, social, culturel… D’ailleurs J. Villeglé dit « En prenant l’affiche, je prends l’histoire. »
Son attitude d’arracher ces affiches « commerciales » envahissantes, malmenées par les passants ou le climat (affiches lavées par la pluie, décolorées par le soleil), va rejoindre celle des Nouveaux Réalistes où prélèvement et manipulation d’objet de consommation sont donnés à voir dans un premier temps socialement, puis esthétiquement.
Dans ses compositions, on retrouve des affiches lacérées monochromes, abstraites, lyriques, des images politiques, des affiches commerciales détournées, des affiches de spectacles, concerts, des journaux remplis de graffitis…
En 1959, J. Villeglé explore l’ancien terrain vague Luna-Park de la Porte Maillot, où il y repère un ensemble d’affiches de cinémas. Avec ces affiches de cinéma lacérées, il crée de nouveaux titres de films et intitule son oeuvre « Tapis Maillot« . L’entremêlement des morceaux de typographies issus des affiches laisse apparaître l’illisible. Effectivement, on peut voir que la lecture de l’image est difficile, la vision est fragmentaire : une frontière entre figuration et abstraction se dessine, le lisible et l’illisible deviennent floues.
Pour sa première présentation, l’œuvre est installée au sol, d’où son appellation de tapis. Cet accrochage est intéressant car l’oeuvre est foulée par les visiteurs de l’exposition, ce qui en accentue la lacération. Lors de cette exposition et pour la première fois, le terme du « Lacéré Anonyme » est évoqué. Pour Jacques Villeglé, le véritable artiste est le « lacérateur anonyme », la collecte pouvant être effectuée par n’importe qui.
En 1961, Jacques Villeglé crée l’oeuvre « Carrefour Sèvres / Montparnasse », une affiche lacérée aux couleurs éclatantes repérée par les américains qui permettra à l’artiste d’obtenir l’étiquette de précurseur du Pop Art. Cependant, Jacques Villeglé se différencie d’Andy Warhol et de Roy Lichenstein qui eux jouent avec les slogans et les marques apparaissant sur des affiches publicitaires pour des produits de consommation. De son côté, J. Villeglé accorde plus d’importance à la forme, la couleur et aux qualités plastiques de l’affiche. Pour lui, « un artiste se doit d’apporter une nouvelle beauté ».
J’aime les affiches lacérées aussi. Les travaux de Jaques Villeglé sont merveilleux!
(Sorry for my bad French!)